Libreville, (GM)- La réforme récente de la législation sur les partis politiques au Gabon fait déjà couler encre et salive. Adopté dernièrement et promulgué il y a quelques heures par le président de la République, ce nouveau cadre légal modifie significativement le rapport entre les élus et les formations politiques. Désormais, selon l’article 22 de ladite loi, en son deuxième alinéa, un député ou tout autre élu peut démissionner du parti politique sous la bannière duquel il a bénéficié des suffrages victorieux des électeurs, tout en conservant son mandat. Cependant, il lui est formellement interdit d’adhérer à une autre formation sous peine de perdre automatiquement son siège à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au sein des assemblées locales.
Une avancée relative pour la liberté des élus
De prime abord, cette réforme marque une rupture avec l’ancienne logique d’allégeance partisane stricte. Autoriser un député à quitter le parti qui l’a porté au pouvoir sans le contraindre à abandonner son siège semble renforcer incontestablement sa liberté d’opinion et sa capacité d’agir en conscience. Dans le système démocratique que se veut être celui du Gabon, cette évolution peut être interprétée comme la marque d’un rééquilibrage des pouvoirs entre les élus et les appareils politiques, souvent critiqués pour leur rigidité.
Au demeurant, ce changement notable ouvre la voie à une forme de dissidence constructive : le député reste un acteur politique à part entière, libre de siéger comme indépendant, de s’abstenir ou de voter selon ses convictions. Cette autonomie pourrait favoriser l’émergence d’un Parlement plus critique et moins monolithique, surtout dans un contexte de recomposition politique nationale tel que celle en cours.
Une clause de dissuasion en guise de garde-fou : l’interdiction d’adhérer à un autre parti
Bien que saluée et salutaire, cette avancée est toutefois encadrée par une restriction de taille : si l’élu change de formation politique, son mandat est annulé de plein droit. Autrement dit, il ne peut rejoindre une autre organisation politique jusqu’à la fin de son mandat électif, même s’il partage la vision ou les objectifs de cette dernière. De toute évidence, cette clause vise clairement à empêcher le nomadisme politique, un phénomène longtemps décrié au Gabon et ailleurs en Afrique. Ce que d’aucuns qualifient de « transfugisme », motivé par l’opportunisme ou les calculs électoralistes, affaiblit la cohérence des programmes politiques et sape la confiance des électeurs. En interdisant les mutations partisanes en cours de mandat, le législateur cherche probablement à préserver une certaine stabilité institutionnelle et à dissuader les défections stratégiques ou opportunistes.
Entre discipline partisane et représentativité populaire
Le paradoxe est néanmoins manifeste : d’un côté, on reconnaît au député une certaine autonomie en cas de désaccord profond avec son parti ; de l’autre, on lui interdit toute nouvelle affiliation, figeant ainsi sa trajectoire politique pendant toute la durée de son mandat. Ce verrouillage pourrait s’avérer contre-productif dans certains cas. Si un élu quitte son parti pour protester contre une dérive idéologique ou une crise interne par exemple, mais qu’il trouve une convergence avec une autre formation politique porteuse de son engagement initial, pourquoi ne pourrait-il pas la rejoindre tout en continuant à représenter ses électeurs ?
Une réforme aux airs de couteau à double tranchant
En définitive, la nouvelle loi gabonaise sur les partis politiques introduit un équilibre instable entre liberté individuelle et discipline collective. Elle répond à une exigence de moralisation de la vie politique tout en limitant les excès du nomadisme partisan. Mais elle pourrait aussi engendrer des frustrations chez les élus honnêtes, contraints à l’isolement politique ou à une neutralité de façade.
Il reste à observer, dans les mois à venir, si cette mesure produira l’effet attendu : un Parlement plus responsable, moins soumis aux jeux de pouvoir, et davantage représentatif des aspirations citoyennes – ou si elle servira au contraire à renforcer le contrôle des partis sur leurs élus au détriment du débat démocratique. La nouvelle loi sur les partis politiques impose un choix délicat aux députés : fidélité au mandat ou fidélité à leurs convictions. Ce dilemme continuera certainement d’alimenter le débat politique et juridique public, surtout à l’approche des échéances électorales prévues dans quelques semaines.
Simplice rabaguino