Libreville, (GM)- Nous vous proposons l’intégralité de l’interview que le professeur Daniel Ona Ondo, président en exercice de la CEMAC, a accordée à nos différentes rédactions
GM/NA : Bonjour M. le Président de la Commission de la CEMAC, pouvez-vous nous dire quelle a été la situation économique dans la zone CEMAC au cours de l’année 2021 ? Quelles sont les prévisions de croissance pour 2022 et quels sont les principaux moteurs du redressement économique de la CEMAC en cette période de pandémie de la covid-19 ?
Question 1: Je vous remercie de l’intérêt continu que vous portez aux activités de la Communauté en général et à celle de la Commission de la CEMAC en particulier. Mais avant de vous répondre, permettez-moi, en ce début d’année 2022, d’adresser mes souhaits de parfaite santé, de plein succès et de paix intérieure à l’ensemble des ressortissants de la CEMAC, à vous-mêmes et à vos nombreux lecteurs.
Après une année 2020 assez difficile, l’on a observé les signes de reprise de la croissance en zone CEMAC au cours du premier semestre 2021. Cette reprise demeure lente en lien avec la persistance de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de Covid-19, couplée avec la poursuite de la morosité de l’activité économique dans le secteur pétrolier. L’Indicateur Composite des Activités Économiques (ICAE) de la CEMAC s’est accru de 2,5% au 31 mars 2021 comparé à son niveau de fin décembre 2020.
Ce constat d’une nette reprise de l’activité économique s’est accompagné, au cours de la période sous revue, d’une hausse du niveau général des prix à la consommation. En effet, le taux d’inflation en moyenne annuelle s’est hissé dans la CEMAC à 2,7% en 2021 contre 1,7% en 2020.
S’agissant des perspectives macroéconomiques de la CEMAC pour 2022, elles sont globalement favorables tout en étant sujettes à des risques assez conséquents du fait de la persistance de la crise sanitaire et de ses répercussions sur les plans économique et social.
La croissance repartirait à la hausse pour atteindre 2,7% en 2022, après 1,3% en 2021 et une récession de 1,7% en 2020. Pour cette année, la croissance serait tirée tant par le secteur non pétrolier que le secteur pétrolier. En effet, le secteur pétrolier croîtrait de 2,5% en 2022 à la faveur de l’entrée en plein régime du Champ pétrolier de Simba au Gabon et des effets induits des activités de forage des puits pétroliers dans la quasi-totalité des pays de la CEMAC. Tandis que le secteur non pétrolier verrait sa croissance se consolider à 2,7% en 2022, à la faveur de la poursuite du desserrement des contraintes pesant sur l’activité économique.
En plus de ces prévisions, il convient de souligner que la mise en œuvre du plan communautaire de relance de l’économie post Covid-19 de la CEMAC sera l’objet de nos efforts soutenus et va entrer dans sa phase de croisière en 2022. Tel qu’adopté par le sommet extraordinaire des Chefs d’Etat du 18 août 2021 par visioconférence sous la présidence de S.E. Paul BIYA, Président de la République du Cameroun, Président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC, ledit plan communautaire s’appuie sur une stratégie cohérente et coordonnée, prescrit la mise en œuvre de politiques budgétaires propices, encourage l’assainissement du système financier, invite au recours à des Partenariats Public – Privé (PPP) dans les projets de développement et promeut la stabilité extérieure de la monnaie.
Question 2 : Les régulateurs des télécommunications des six pays de la CEMAC ont signé, en novembre 2021 à Douala, le protocole d’accords qui met en œuvre le free-roaming entre les pays de la zone. Où en est-on avec cette importante réforme pour la sous-région ?
La mise en œuvre de la suppression des frais d’itinérance dans l’espace CEMAC est une réforme qu’il faut accueillir avec satisfaction, tant c’est le consommateur c’est-à-dire le citoyen lambda qui sort gagnant. Désormais, il sera possible à chaque ressortissant de la communauté d’appeler dans les six pays de la CEMAC au même tarif qu’un appel sur le réseau national.
Il est en effet acquis que les échanges entre les hommes et la libre circulation de l’information et des données constituent de précieux atouts pour la transformation structurelle des économies. De facto, l’harmonisation des frais relatifs à l’itinérance sur les réseaux mobiles de communications électroniques ouverts au public dans la CEMAC dès ce premier trimestre 2022, va impulser une dynamique plus forte à l’intégration régionale en boostant les échanges intra-personnelles et/ou intracommunautaires et en permettant d’accroitre le potentiel du secteur de la téléphonie mobile en Afrique centrale.
In fine, la suppression des frais d’itinérance en zone CEMAC constitue une grande avancée pour l’intégration de notre sous-région tant elle va considérablement impacter l’économie, mais en plus, matérialiser la vision d’une intégration des peuples que nous appelons de tous nos vœux.
Question 3 : Après la tenue de la table ronde des bailleurs de fonds pour le financement des projets intégrateurs en novembre 2020 à Paris, la CEMAC avait obtenu des engagements à hauteur de 3,8 milliards d’euros. Deux ans plus tard, quel est l’état d’avancement de leurs mises en œuvre ?
Le succès de la table ronde de Paris a permis de mobiliser des financements importants pour la réalisation des projets intégrateurs. Ces derniers visent essentiellement l’amélioration des infrastructures et l’interconnexion des réseaux nationaux de transports, des télécommunications, de production énergétique, la promotion du marché commun et le renforcement du capital humain dans la CEMAC. Avec la mise en place du comité technique pour le suivi et la mobilisation des engagements des bailleurs de fonds pour le financement des projets intégrateurs, nous disposons aujourd’hui d’un outil qui permet de faire une évaluation au jour le jour de ceux-ci.
Près de deux ans après la tenue de cette table ronde, les choses semblent aller dans le bon sens. Sur les onze projets prioritaires, deux sont en phase de démarrage. Notamment, le projet d’interconnexion des réseaux électriques Cameroun – Tchad dont le financement est assuré par la BAD et la Banque Mondiale, et le projet de construction de l’université Inter-Etats Congo – Cameroun. Outre ces deux projets, trois autres sont en pleine restructuration pour leur lancement prochain. Il s’agit du projet d’aménagement hydroélectrique de Chollet et des lignes électriques associées (Cameroun, Congo, Gabon, RCA), du projet de construction de port sec de Béloko sur le corridor Douala – Bangui. Le dernier projet en cours est celui du port sec de Dolisie, sur le corridor Gabon – Congo.
Il est à noter que le plan communautaire de relance de l’économie post Covid-19 donne la priorité à la transformation structurelle de notre sous-région à travers la mise en œuvre des projets intégrateurs. C’est dire l’impérieuse nécessité de bâtir les infrastructures de développement qui serviront à l’émergence d’un marché commun attractif, à la promotion du secteur privé compétitif et à la transformation locale de nos ressources. De ce point de vue, les projets intégrateurs sont un levier essentiel pour la résilience de la CEMAC.
Question 4 : Le dernier Conseil des Ministres de l’Union Economique de l’Afrique Centrale (UEAC) tenue en décembre 2021, a ajourné l’adoption du budget de la Communauté de l’exercice 2022. Et il a fixé pour février prochain, la tenue d’une session extraordinaire. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
Le report de l’examen du budget de la communauté de l’exercice 2022 est une mesure forte de la 37ème session du Conseil des Ministres de l’UEAC face à une situation grave. En effet, le communiqué final sanctionnant les travaux précise clairement et je cite : « S’agissant du financement et de la dette de la communauté, le Conseil des Ministres, au regard de la situation financière préoccupante de la Communauté, a sollicité de la Commission de la CEMAC, des informations complémentaires préalablement à l’adoption du budget ».
C’est donc principalement la question de la dette qui a motivé la décision d’organiser une session extraordinaire du Conseil des Ministres de l’UEAC pour la mi-février 2022. En interne, la dette sociale se caractérise par les sommes dues aux anciens fonctionnaires de la communauté appelés à faire valoir leurs droits à la retraite. Et en externe, nous avons une dette vis-à-vis de nos partenaires internationaux, notamment l’Union Européenne.
Pour clore sur ce point, je vous ferai remarquer que la problématique de la dette date des mandats précédents et qu’elle est devenue, au fil du temps, un goulot d’étranglement pour le fonctionnement de la communauté. Cela dit, je pense que les Ministres ont pris la bonne décision de mettre carte sur table sur cette question et les équipes de la Commission de la CEMAC sont d’ores et déjà à pied d’œuvre pour collecter et fournir aux membres de l’UEAC, tous les éléments d’appréciation.
Question 5 : Tout au long de votre mandat à la tête de la Commission, vous n’avez cessé de faire le plaidoyer pour un reversement intégral par les Etats, de la Taxe Communautaire d’Intégration (TCI). D’après vous, comment parvenir à garantir le financement de la CEMAC ?
Pour garantir le financement de la CEMAC, il n’y a pas de solution miracle mais il est vital que les principes de solidarité et de contribution égalitaire des Etats au budget de la communauté demeurent les socles de notre processus d’intégration. A l’instar du Gabon, que je tiens à féliciter pour avoir mis en place le nouveau mécanisme de collecte et de reversement de la TCI, je pense que la problématique du financement de la communauté ne se posera plus dès lors que la TCI sera intégralement prélevée et reversée.
En effet, les textes de notre communauté sont clairs et il nous appartient de les appliquer. Sur le financement de la communauté, ils prescrivent que les Etats de la CEMAC prélèvent 1% des importations des produits hors zone qu’ils reversent directement dans les comptes de la CEMAC. Dans la pratique, nous avons fait le constat amer que dans plusieurs pays de la sous-région cette taxe affectée se heurte à de nombreux écueils. Face à cette situation, la session extraordinaire du Conseil des Ministres de l’UEAC sera à nouveau l’occasion d’évoquer le principe de reversement intégral de la TCI par les Etats.
Question 6 : Au cours des derniers mois, vous avez été l’objet de nombreuses critiques. On a également vu des parutions à charge contre vous dans la presse de certains pays. A un an de la fin de votre mandat à la CEMAC, quel est votre point de vue sur votre bilan ?
Vous faites bien de parler de bilan mais pour l’heure cela me semble est un peu prématuré car j’ai pour seule boussole, la confiance placée en ma modeste personne par les Chefs d’Etat de notre communauté à travers l’importante et exaltante mission qu’ils m’ont confié. Les critiques, les ragots et la calomnie à travers voie de presse sont loin d’ébranler la foi que j’ai pour la CEMAC et mon engagement à la servir loyalement. Tel est le sens du serment que j’ai prêté et cela restera le leitmotiv qui guidera mon action jusqu’à la fin de mon mandat à la Commission.
Au terme de cette interview, votre mot de la fin.
Je vous remercie pour la tribune que vous m’offrez et vous réitère mes vœux que 2022 soit l’année des réalisations marquantes dans vos vies. Au moment où se joue la CAN 2021 au Cameroun, je ne saurai terminer mon propos sans souhaiter une bonne chance à toutes les équipes et adresser mes encouragements particuliers aux trois ambassadeurs qui défendent nos couleurs de la CEMAC lors de cette compétition ; à savoir : Les Lions Indomptables du Cameroun, les Panthères du Gabon et le Nzalang Nacional de Guinée-Equatoriale. Enfin, je veux porter le message de paix, de solidarité et de résilience qui nous est tant cher pour le vivre ensemble et le développement harmonieux de notre communauté de destin.
GM/NA