Libreville, (GM)- ‘’Ces Femmes noires francophones’’, c’est la nouvelle œuvre littéraire du docteur écrivaine, Ferdulis Zita Odome Angone, notre rédaction s’est entretenu avec cette dernière
GM: Quelles sont les grandes thématiques de cet ouvrage littéraire ?
FZOA: La démystification de certains concepts comme le féminisme. De nos jours, le Féminisme est encore perçu et reçu comme un gros mot, un mot tabou puisqu’à chaque époque c’est un mot galvaudé. A ce titre, j’ai passé mon enfance et une bonne partie de ma vie d’adulte sans vouloir admettre ouvertement que j’étais féministe. J’en avais honte parce que dans le pays où je suis née, il s’agit aujourd’hui encore d’un gros mot stigmatisant qui voue aux gémonies les souscriptions qui s’entêtent.
Etre féministe veut dire que vous allez peut-être finir célibataire si vous vous obstinez dans des débats pointilleux parlant d’égalité et de parité. Etre féministe veut dire que vous êtes ingouvernable donc non épousable. Malédiction suprême dans un contexte où les mariages ostentatoires vous rappellent qu’il faut faire vite sinon vous allez rater le train de l’accomplissement pour n’être alors qu’une femme à demi. Etre féministe veut aussi dire que vos parents ont peut-être failli à leur rôle en ne vous incluant pas les « valeurs » de « bonne femme », c’est à dire soumise, docile, muette, corvéable à merci. Etre féministe c’est aussi tenter de court-circuiter la scolarisation des jeunes filles, parce qu’une femme formée, informée et transformée est un « couteau à double tranchant », elle ne peut plus accepter tout et n’importe quoi. Etre féministe veut aussi dire que vous allez peut-être finir isolée, ostraccisée, vilipendée, « dénigrée », intimidée dans le seul but de vous museler. Etre féministe veut aussi dire que vous allez peut-être finir indexée comme une »mauvaise mère », aux antipodes de la figure sacrificielle que le tome invisible et inédit des Mémoires collectives portant sur les traditions africaines tient à votre insu. Etre féministe veut dire que vous êtes une dissidente qui en fait parfois un peu trop, autrement dit une non alignée qui s’affranchit des carcans que d’autres ont construits pour vous sans vous donc pas tout à fait en votre faveur.
Dans l’ouvrage, j’aimerais aussi préciser pour l’avoir observé que le féminisme n’est pas une théorie élitiste mais une pratique de survie, c’est-à-dire une arme d’autodéfense quotidienne en situation de droit précaire. En fait, la différence entre la génération de ma grand-mère et la mienne c’est que nous avons les réseaux sociaux pouvant nous servir de courroies de transmission, de stratégie de soronité, et de caisse de résonance pour diffuser nos écueils, nos combats hors de nos lieux de vie. Puis, il faut aussi dire que nous avons « glamourisé » nos luttes en apprivoisant un concept importé dans une langue tout aussi importé pour fédérer nos stratégies de résidence (pas assez audible) aux luttes Internationales. Cela ne veut en aucun cas dire que les femmes africaines ont attendu des femmes blanches pour leur dire comment défendre leurs droits. C’est condescendant. A cet effet, dans mon essai, je consacre un chapitre à ma grand-mère maternelle. Cette image de la grand-mère n’est qu’un hommage allégorique à toutes ces générations de femmes qui nous ont précédées et qui n’ont au demeurant, malheureusement elles n’ont pas eu les mêmes opportunités que nous pour laisser les traces de leurs luttes et de combats menés et sans doute, gagnés et consignés dans des livres. C’est pourquoi écrire est urgent. Je précise que ma grand-mère était féministe. Se défendre et vouloir pour soi le même traitement social sans discrimination ni partie pris, sans préjugés ni catégorisation, c’est cela pour moi être féministe. La grand-mère ne connaissait pas Simone de Bouvoir, Virginia Woolf, Audre Lordre, Abgela Davis, Bell Hooks. Figurez-vous qu’elle ne savait rien d’Awa Thiam, Mariama Ba, et toutes les femmes qui ont mené des luttes féministes dans le monde, pourtant toutes les fois qu’elle a pu, ma grand-mère, toujours en vie d’ailleurs, a défendu ses droits dans des conditions inénarrables. Je tiens aussi à compléter, avant de finir, qu’en réalité, de mon point de vue, c’est un truisme que d’être femme et féministe. Cela doit couler de source de vouloir pour soi le respect, la dignité et la considération qui échoient d’emblée à d’autres. Le féminisme que je défends n’est donc pas une misandrie. J’aime l’humanité donc j’aime les hommes, j’ai grandi entouré d’hommes, je suis fille unique au sein d’une fratrie de cinq. Comment et pourquoi détester les hommes alors que nous avons besoin d’eux comme alliés pour mener des combats qui concernent une bonne partie de la planète. Car les questions qui concernent les femmes touchent nos mères et leur épanouissement, nos filles qui seront les femmes demain, nos sœurs qui font elles aussi partie de la gent féminine. Nous semblons souvent l’oublier ou ne pas (vouloir) le voir sous cet angle.
GM : Quelle relation peut-on établir entre les thèmes de cette œuvre et la journée de commémoration des Droits de la femme ?
FZOA: Parce qu’on ne peut pas tout dire dans un seul livre et que cet essai n’est que le premier tome d’une série de réflexions sur la condition de la femme en Afrique. Je voudrais souligner que « Femmes noires francophones » est une analyse contemporaine qui fait le point sur l’état des Droits des femmes africaines sur des points spécifiques, ce qui cadre avec les objectifs du 8 mars. L’essai aborde plusieurs sujets, entre autres, la monoparentalité féminine dont on ne parle pas assez dans l’espace public. A partir de mon expérience, je parle aussi du veuvage au féminin et de la stigmatisation structurelle inhérente faite aux femmes lorsqu’on est encore jeune et qu’on a le droit de refaire sa vie. J’analyse des tabous de nos sociétés, des sujets qui fâchent pour que l’on ouvre le débat sans fioritures. Je parle de long en large du patriarcat, avec des exemples pratiques pour comprendre les mécanismes de base de ce système, en de termes simples.
Avant de finir, j’aimerais placer la Journée des Droits des femmes en 2021, sous le signe de la Sororité. Il s’agit d’une solidarité politique entre femmes défendant les mêmes valeurs. C’est à ce titre qu’en tant que notion politique, la sororité devient un pilier, pour ne pas dire, le socle consubstantiel, de l' »empowerment » (autonomisation) dans un cadre afro féministe. En de termes simples, comme dans un effet miroir dont l’exercice nous renverrait, à notre propre moi intérieur, à notre propre image, par empathie. La sororité c’est reconnaître, réciproquement, en d’autres femmes une humanité qui compte.
Interview réalisée par CO