Libreville, (GM) — Au moment de célébrer son deuxième anniversaire d’existence, le parti créé le 05 juillet 2022 par Alexandre Désiré Tapoyo reste mobilisé et ambitieux. C’est du moins ce qui ressort de l’interview que nous a accordée, sans langue de bois, l’ancien ministre des Droits Humains et président de cette formation politique centriste.
Gabon Minutes :
Deux ans après sa création, quel bilan faites-vous de votre parti, notamment en terme d’implantation ?
ADT : Merci tout d’abord pour l’opportunité que vous m’offrez. C’est pour le Moref un privilège que de vous recevoir et essayer de répondre à vos questions. Né en effet le 05 juillet 2022, le Mouvement des réformateurs est aujourd’hui âgé de deux ans. Avec au départ un peu plus de 9 mille adhérents à travers le pays, nous sommes actuellement présents dans cinq provinces à titre formel, à savoir : l’Estuaire, le Haut-Ogooué, le Moyen-Ogooué, la Ngounié et l’Ogooué-Ivindo. Sur le plan électoral, nous avons pris part aux dernières élections locales et législatives de 2023 dont l’issue est connue de tous. C’était une première expérience, sans grands moyens, mais avec le souci de faire au moins bonne figure. Nous continuons d’en tirer toutes les leçons nécessaires pour l’avenir. Car nous nourrissons la double ambition légitime de gérer des collectivités locales et obtenir un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Dans cette perspective, nous travaillions d’arrache-pied au renouvellement de nos structures de base, ainsi qu’à notre meilleure implantation, notamment dans l’Estuaire au niveau de la Commune d’Owendo et ailleurs.
GM : Quelle définition donnez-vous au centrisme dans le contexte politique gabonais, sachant que le Moref s’en revendique ?
ADT : Grande question. Le centrisme est en effet difficilement cernable sous nos latitudes même si, en réalité, il est souvent perçu comme une sorte de positionnement propice au consensus. Contrairement à une certaine conception répandue dans l’opinion, le centrisme n’est pas synonyme de neutralité ni assimilable à une posture politique hybride. Le centrisme, pour le Moref, est une sorte de dévotion humaniste, c’est-à-dire au service de l’homme dans toute sa plénitude. Qu’il s’agisse d’économie, de développement durable, etc, l’homme doit être au centre. Toute chose qui, pour nous, met en exergue la nécessité du règne d’une véritable justice sociale. Ceci étant, tout ce qui se dit et se fait ici et là, à gauche ou à droite, est à prendre en haute considération dès lors que l’Homme en est le principal bénéficiaire. En ce sens, notre parti estime qu’aucun bord de l’échiquier politique ne possède la science infuse, mais que chacun d’entre eux est porteur d’idées et de propositions utiles au développement de l’homme et du pays. Comprendre cela et y adhérer, c’est être centriste. D’autre part, en ce qui concerne le Mouvement des réformateurs, la crainte de Dieu constitue aussi une valeur non négociable. Car qu’est-ce que l’être humain s’il ne vit et ne se bat que pour et par lui-même ? Pas grand-chose, voire rien du tout, à mon avis.
GM : Quel regard portez-vous sur le Dialogue National Inclusif d’avril dernier, notamment sur ses résolutions dont certaines suscitent la polémique ?
ADT : (soupir)…S’agissant de ce Dialogue, disons qu’il y a eu à boire et à manger. Disons même qu’il y a eu parfois de quoi être assez décontenancé. Permettez-moi de vous rappeler tout de même que j’ai été le porte-parole de la phase citoyenne du Dialogue d’Angondje de 2017. Cette modeste expérience m’autorise à faire remarquer un certain nombre de choses qui auraient pu être mieux faites avant, pendant et même un peu après le DNI d’avril dernier. Par exemple, la manière avec laquelle ont été désignés les représentants des partis politiques m’a paru controversée, au point que cela a pu être perçu comme une espèce de choix inquisitorial dont on aurait pu parfaitement se passer, au moins pour éviter des polémiques inutiles à mon sens. Autre sujet, l’affectation aléatoire de certains participants au sein des commissions, parfois très techniques, n’a pas tenu compte des profils de bon nombre d’entre eux. Résultat des courses : beaucoup de participants se sont retrouvés dans des commissions en simples spectateurs face à des discussions auxquelles ils ne comprenaient pas grand-chose. S’agissant des résolutions de ce conclave, relatives à la nationalité, de quoi avons-nous peur en procédant à cette hiérarchisation malsaine entre prétendus Gabonais de souche et Gabonais ayant finalement pour malheur de n’avoir qu’un père ou une mère originaire du Gabon ? Dans tous les cas, je trouve certaines recommandations véritablement dangereuses pour la cohésion nationale. Plutôt que de craindre le métissage Gabonais, nous devons surtout avoir peur des effets pervers et dévastateurs de ces propositions ostracisantes. Cela vaut également en ce qui concerne les partis politiques, contre lesquels les délégués du DNI semblent avoir également eu la dent dure. Peuvent-ils vraiment prouver que tous les partis politiques sont responsables des causes ayant conduit au 30 août 2023 ? Pour ma part, je reste assez gêné par cette tendance à l’exclusion qui ressort de certaines résolutions du DNI. Car la paix dans notre pays n’a pas de prix. Il faut toujours y veiller sans exclusive ni partition quelconque, qu’elle soit identitaire, politique ou autre. Qu’à cela ne tienne, cette rencontre était nécessaire et a été, à plusieurs égards, un grand moment salutaire pour notre nation.
GM : Quelle appréciation avez-vous du déroulement de la Transition en cours ?
ADT : Je salue évidemment cette période de transition dont le Gabon avait plus que besoin. Je salue également l’action du CTRI qui fait de notre pays un vaste chantier à ciel ouvert. Et c’est une bonne chose. Toutefois, je suggère à certains collaborateurs ou proches du chef de l’État de ne pas le faire mentir à travers des initiatives dont ils semblent être les seuls bénéficiaires in fine, c’est-à-dire au détriment de l’image du président de la Transition même. C’est un impératif catégorique auquel chacun des concernés doit œuvrer sans relâche ni tromperie à son égard. Certains grands projets annoncés doivent pour se faire être réalistes et tenir compte de la réalité économique du pays, sachant le lourd passif dont ont hérité les autorités en place depuis le « Coup de la Libération ».
GM : Quelles perspectives entrevoyez-vous pour le Moref dans l’avenir ?
ADT : En termes de perspectives, le Moref ambitionne de gérer la commune de Libreville, seul ou en coalition. Nous avons un grand rêve pour cette ville qui est aujourd’hui confrontée à d’inextricables et nombreux défis. Nous avons la volonté nécessaire et l’énergie qu’il faut pour relever tous ces challenges. Libreville nous a tout donné. Prenons garde à ne pas faire d’elle une ennemie vis-à-vis de laquelle nous nous permettrions tout ce que nous voulons, à travers nos habitudes nocives. Évidemment, les autres ambitions du Moref sont celles de tout parti politique mâture. Nous travaillions à leur atteinte dans les meilleures conditions. Quant au reste, Dieu y pourvoira.
GM : Votre mot de fin…
ADT : Comme mot de fin, je vous remercie tout d’abord pour l’honneur que vous m’avez fait en sollicitant mes avis sur l’actualité de notre pays et les activités du Moref. S’agissant des quelques sujets que nous avons abordés, je suggère aux autorités de prendre le temps et la mesure nécessaires pour régler des problématiques telles que celles portant sur la citoyenneté et les formations politiques, par exemple. Sur ces derniers, des mesures plus objectives et moins attentatoires à la vie démocratique sont possibles pour l’éclaircissement du paysage politique. Il faut y songer. Sur la citoyenneté, laissons tous les Gabonais de bonne volonté prendre part à la construction nationale, qu’ils soient de père et de mère, de père ou de mère. Il y va de la préservation de notre vivre-ensemble dont la richesse essentielle réside dans sa diversité. Ne créons pas des monstres qui pourraient finir par anéantir notre édifice commun et nous condamner au tribunal de l’histoire. Je vous remercie.
Propos recueillis par VYL/GM