Libreville, (GM) — Dans une lettre ouverte poignante et sans concession, Grégory Laccruche Alihanga, ancien maire d’Akanda, brise des années de silence pour dénoncer ce qu’il qualifie « d’indécence » et de « cynisme pur » de la part de ceux qui, selon lui, ont orchestré son incarcération et celle de son frère, Brice Laccruche Alihanga.
Son témoignage, glaçant, offre une lecture crue des rouages d’un système qu’il décrit comme brutal et injuste, tout en interpellant directement les « amnésiques » qui, après avoir été les bourreaux, se drapent aujourd’hui dans les habits de victimes.
La missive de Grégory Laccruche Alihanga se veut un rappel des faits et une dénonciation virulente de l’inversion des rôles à laquelle l’opinion assiste depuis la déclaration publique à Paris de Sylvia Bongo et son fils Nourredin.. L’auteur ne cherche pas à « rejouer le passé » mais à « parler car ceux qui ont incarné l’oppression se parent désormais des habits de victimes ». Il accuse frontalement ceux qui ont « bâti et défendu un système brutal, injuste, humiliant » de chercher à « faire oublier les crimes dont ils ont été les architectes ».
Un « règlement de comptes institutionnalisé »
Au cœur de son récit, Grégory Laccruche Alihanga détaille les circonstances de son arrestation et de son incarcération en novembre 2019, officiellement dans le cadre de « l’Opération Scorpion ». Il dépeint cette période comme une « vengeance politique » et une « purge ciblée ». Il révèle avoir été convoqué par Nourredin Bongo Valentin qui, en présence d’Abdul Océni, lui aurait exigé de porter de fausses accusations de trahison contre son frère, Brice Laccruche Alihanga, et de fabriquer des témoignages.
Son refus catégorique – « jamais je ne trahirai mon sang. Jamais je ne me fourvoierai devant Dieu » – aurait scellé son sort. Trois jours plus tard, il était jeté en prison, subissant une garde à vue prolongée illégalement et une détention préventive de quatre ans, sans procès, sans audience, et sans défense. Il décrit ces quatre années comme un « oubli judiciaire » à l’annexe 1 de la prison centrale de Libreville, où la consigne était claire : « Nono a dit si tu veux sortir, tu n’as qu’à charger ton frère ».
L’État Bongo derrière les murs : un témoignage d’atrocités
Les conditions de sa détention, telles que décrites par Grégory Laccruche Alihanga, sont sidérantes. Il affirme avoir été transformé en « otage », une « monnaie d’échange pour faire plier mon frère », ou une « cible à abattre » pour avoir tenu tête au « fils de la bête ». Il décrit un enfermement dans une cellule de 6 m², sans lumière ni sortie, un isolement total 24h/24, une privation de soins, et l’absence de contact avec ses proches ou son avocat. Ces « traitements inhumains » et « dégradants » se sont déroulés sans l’intervention d’un juge, sans interrogatoire, et sans aucun recours. Ses droits fondamentaux, comme le droit à la défense, aux visites, et à la santé, auraient été « piétinés ». Il précise n’avoir pas revu son frère pendant trois ans et personne ne pendant quatre ans.
« Les bourreaux pleurent aujourd’hui » : le cri de l’hypocrisie
Le ton de la lettre se durcit lorsque Grégory Laccruche Alihanga s’adresse directement à ses anciens geôliers. Il fustige leur « hypocrisie » face à leurs plaintes actuelles de « traitement de chien ». « Je leur réponds : vous nous avez traités pire que des cafards », assène-t-il, dénonçant les tortures psychologiques et physiques, les menaces sur ses proches, et les tentatives de briser sa compagne.
Il souligne que ces mêmes individus n’ont jamais dénoncé ces pratiques par le passé, les ayant au contraire « couvertes » et « ordonnées ». Leur appel actuel à l’ONU, à la France, et aux droits de l’homme, des institutions qu’ils « méprisaient hier », est qualifié de « cynisme pur ».
Une vérité reconnue mais étouffée
Grégory Laccruche Alihanga rappelle que l’ONU, dès décembre 2020, l’a reconnu comme prisonnier politique et détenu arbitrairement, exigeant sa libération immédiate. Une plainte pour séquestration aurait même été déposée en France. La réponse du régime d’alors : « La justice gabonaise est souveraine », une phrase qu’il interprète comme un « Circulez, il n’y a rien à voir ». Il insiste sur le fait qu’Ali Bongo lui-même, dans Jeune Afrique, avait validé cette ligne. Le fait que ces mêmes hommes « viennent quémander la clémence de la justice internationale » aujourd’hui est pour lui une insulte.
Les vies brisées derrière le calvaire
L’ancien maire ne se limite pas à son propre sort. Il évoque les conséquences dramatiques de cette période sur sa famille. Sa mère aurait été victime de deux AVC sous le choc de l’incarcération de ses deux enfants, devenant aujourd’hui handicapée. Lui-même a perdu la vue durant son isolement, n’obtenant des soins qu’après une intervention consulaire. Quant à son frère, atteint d’un cancer, il était « donné pour mort ». Grégory Laccruche Alihanga attribue leur survie à l’intervention du président Oligui Nguéma, affirmant que la mort était « le dessein que poursuivaient nos bourreaux ».
En conclusion, Grégory Laccruche Alihanga affirme ne pas chercher la vengeance mais la vérité, afin que les rôles ne soient pas inversés. Il souhaite que la communauté nationale et internationale sache que « ceux qui crient aujourd’hui ont fait taire hier ». Il les accuse de n’avoir pas défendu la justice, mais de l’avoir « étranglée » ; de n’avoir pas défendu les droits de l’homme, mais de les avoir « piétinés » ; de n’avoir pas subi l’arbitraire, mais de l’avoir « mis en place et consolidé » ; de n’avoir pas protégé la liberté, mais de l’avoir « enchaînée » ; de n’avoir pas réparé les injustices, mais de les avoir « perpétuées » ; et de ne pas honorer la vérité, mais de la « travestir ».
Grégory Laccruche Alihanga termine en promettant d’user de tous les recours, nationaux et internationaux, pour que ceux qui ont bafoué leurs droits ne puissent jamais les réécrire à leur propre avantage, ajoutant : « Fuir vos responsabilités est illusoire ; je veillerai à ce que jamais vous n’en ignorez l’évidence. »
Cette lettre ouverte, par sa force et sa précision, jette une lumière crue sur une période sombre de l’histoire politique gabonaise et pose la question fondamentale de la responsabilité et de la mémoire face aux injustices passées.
Simplice Rabaguino