Libreville, (GM)- Longtemps restée en retrait des joutes politiciennes, la nouvelle sénatrice Berthe Mbene-Mayer vient, aux côtés de ses collègues de la Chambre haute du Parlement, de clôturer sa première session ordinaire en cette qualité. Une occasion pour cette figure notable de l’histoire politique gabonaise de donner son sentiment sur l’institution et quelques sujets d’intérêt national, par le biais d’une interview accordée à notre rédaction et dont nous vous livrons ici l’intégralité.
Gabon minutes : Au terme de cette première session parlementaire, quels principaux enseignements tirez-vous du rôle de Sénateur qui est désormais le vôtre?
Berthe Mbene-Mayer : Le premier enseignement vient de ma découverte de cette assemblée qui fait partie du parlement. Cette découverte me fait comprendre l’importance qu’a le Sénat dans le processus de décentralisation. Il est vrai que j’ai déjà été élue locale dans le cadre de la première législature. Mais au bout de quatre législatures, je vois l’influence de plus en plus importante du Sénat par rapport aux Collectivités locales qui sont la deuxième partie essentielle de ce qu’elle couvre. Et cela me permet aujourd’hui de revenir sur des choses que je n’ai pas pu proposer lorsque j’étais Maire, il y a déjà plus d’une quinzaine d’années. En gros, l’intérêt primordial réside ici dans la possibilité de mettre face à face la déconcentration et la décentralisation, pour aller au plus près des populations, notamment celles de l’intérieur du pays.
GM : S’agissant de la situation actuelle de la Mairie de Libreville, où il a été récemment enregistré la démission controversée de l’édile Eugène Mba, que pouvez-vous dire, en tant que représentante des collectivités locales, à ceux qui y voient une mise à mal du processus de décentralisation dans notre pays?
BMM : Ecoutez, je ne maîtrise pas tous les tenants et aboutissants de cette affaire. Et je ne pense d’ailleurs pas qu’au niveau du Sénat, nous ayons été saisis sur cette situation. Sauf, éventuellement ou peut-être, les sénateurs de Libreville qui sont d’abord les élus locaux de la capitale. Pour ma part, je suis quelque peu gênée de ne pas pouvoir répondre à cette question, néanmoins je comprends qu’il y ait encore des difficultés dans la mise en place effective de la décentralisation. Mais je pense que cette affaire est aussi une expression de la démocratie. Toutefois, j’avoue mon impuissance à répondre à cette question que je ne maîtrise pas totalement.
GM : Dans le cadre de sa dernière adresse aux deux chambres du Parlement réunies en Congrès, le Chef de l’Etat a eu des mots assez forts sur la nécessité de maintenir la paix et la cohésion nationale. Que pensez-vous de cette exhortation?
BMM : Il a raison! Je pense non seulement que c’est une grande exhortation mais que, également, chaque citoyen gabonais devrait travailler à cela. Quelles que soient nos cultures, quelles que soient nos couleurs, quelles que soient nos identités diverses, à partir du moment où on est né ou naturalisé, nous sommes tous gabonais. C’est dit dans la Constitution. Le vivre-ensemble est important, la paix c’est important. Mais il ne faut pas la construire selon n’importe quel critère ou en écrasant l’autre. La paix se construit dans le don de chacun, dans le don de l’un à l’autre et vice-versa. Ce n’est pas dans la guerre, non. Ça peut être dans des rapports de discussion, des rapports de dialogue. Mais il ne faut pas casser ce lien qu’est la paix.
GM : Longtemps au-devant de la scène politique, à travers votre engagement dans le cadre de l’opposition au régime, notamment sous le magistère du président Omar Bongo Ondimba, vous semblez bien en retrait des joutes politiciennes. Est-ce par dépit à l’égard de la politique ou par sagesse?
BMM : Non, la sagesse, je ne sais pas si je peux la revendiquer. Chez nous on dit « Le sanglier ne se vante pas lui-même de son gras« . Je ne sais pas si j’ai atteint la sagesse… Mais qui peut l’atteindre? Je pense qu’on peut seulement s’en approcher. Ce n’est pas non plus par dépit pour la politique, parce que tout acte a une coloration politique. Même si c’est seulement 1% ou 0,001%. La politique c’est aussi l’expression de chacun de nous et toujours. Loin de m’écarter, j’ai tout simplement changé de paradigme, parce que je me suis dit que je n’étais pas élue et que ce n’était donc pas la peine de chercher à forcer ou à crier, crier, crier. Moi je travaille par des actes. Je travaille par des programmes. J’ai pris un programme qui est celui de la formation de nos jeunes, notamment à l’Université Franco-Gabonaise Saint-Exupéry que j’ai contribué à créer. C’est aussi un acte politique! Généralement, on considère la politique seulement comme si les seules expressions en étaient les grands attroupements, les meetings, non. Moi j’ai fait la politique autrement pendant ce temps, comme je continue à la faire, c’est-à-dire par des actes, par des projets, par des réalisations. C’est aussi ça la politique.
GM : Vos collègues et vous-même venez de clôturer la première session ordinaire du Sénat. Quels textes ont particulièrement retenu votre attention?
BMM : Je voudrais vous dire : tous. Parce que je découvre. Parce que ce cheminement que j’emprunte est nouveau pour moi, bien qu’ayant été élue locale auparavant, pendant onze ans, ce qui n’est pas rien. Là, c’est au niveau national et c’est vraiment autre chose. Tous les textes m’ont impressionnée parce qu’il y a, d’une part, le cœur qui dit « il y a ceci ». Mais après on se dit « si je vais là, ce ne serait pas bon. Essayons de trouver le juste milieu pour ne pas frustrer les gens ». Et surtout, l’important c’est de faire en sorte que la justice et l’égalité des chances soient sauvegardées. Et si j’ai un seul texte à choisir parmi les 35 votés, c’est surtout parmi ceux qu’on n’a pas pu voter cette année. Parce qu’ils me donnent l’occasion de prendre le temps de mieux préparer ma contribution pour la prochaine année. Et le texte qui retient également mon attention, c’est toujours la loi de Finances, pour voir ce qu’on peut faire avec ce qu’on a. Toutes les autres lois vont dépendre de celle-là et il faut vraiment bien la penser. Elle m’impressionne par rapport aux besoins qu’elle peut couvrir, et par rapport aux besoins qu’elle aurait pu couvrir.
GM : Votre mot de fin?
BMM : Beh, il n’y a pas vraiment de mot de fin. Je vous attends en octobre. Parce que là j’aurai déjà pris un peu plus d’étoffe. Et je pourrai mieux intervenir et peut-être vous demander de participer avec nous et, pourquoi pas, de souligner nos erreurs. Peut-être que vous reviendrez me dire « Madame, vous avez mal fait ceci et pourquoi? ». Alors là, je serais bien surprise que vous osiez m’affronter. (Rire).
Interview réalisée par VYL