Gabon : Ali Bongo Ondimba : le bilan presque chaotique de deux mandats entachés de dérives

Libreville, (GM) — Les récentes révélations issues de fuites judiciaires, dans le cadre des enquêtes en cours au Gabon contre la famille Bongo, jettent une lumière crue sur les deux mandats d’Ali Bongo Ondimba à la tête du Gabon. Selon des informations ayant circulé dans la presse, l’ancien chef de l’État aurait reçu, de manière frauduleuse, près de 300 milliards de francs CFA sur ses comptes personnels durant ses deux mandats.

Pour le moins vertigineux, ce chiffre, s’il est confirmé, cristallise à lui seul le paradoxe du régime Bongo : une richesse privée exponentielle au sommet de l’État, face à une pauvreté persistante dans le pays.

Un pouvoir hérité, une continuité contestée

Ali Bongo accède au pouvoir en 2009, à la suite du décès de son père, Omar Bongo Ondimba, qui aura dirigé le pays pendant plus de 41 ans. Sa victoire électorale, dès le départ contesté, ouvre une ère de continuité sous un vernis de modernisation. Dès ses débuts, Ali Bongo tente de se démarquer de son père par un discours plus technocratique, axé sur la bonne gouvernance, la diversification économique, la lutte contre la corruption et le développement durable. Mais derrière les slogans – « Gabon Émergent », « Gabon Vert », « Gabon Industriel », « Gabon des Services » – le système reste verrouillé, centralisé et clientéliste.

Un échec économique et social flagrant

Malgré des revenus pétroliers encore importants durant une partie de son premier mandat, le Gabon reste structurellement dépendant de cette rente, sans avoir réussi à diversifier efficacement son économie. Le chômage des jeunes reste massif, l’éducation et la santé sont en déliquescence, les infrastructures en sous-développement criant. Le tissu productif local est faible, le secteur informel domine, et les investissements structurants annoncés n’ont que rarement dépassé le stade des promesses ou ont été plombés par des malversations.

Dans ce marasme, le modèle économique prôné par Ali Bongo n’a pas abouti. Les indicateurs sociaux se sont globalement dégradés, creusant un fossé entre l’élite gouvernante et une population de plus en plus désabusée.

Une gouvernance autoritaire et verrouillée

Le style de gouvernance d’Ali Bongo s’est rapidement révélé autoritaire. Réformes constitutionnelles successives et souvent fantaisistes, musellement à peine assumé de l’opposition, manipulations électorales et usage récurrent de la répression : tout aura été mis en œuvre pour conserver le pouvoir. Après l’AVC de 2018, la vacance du pouvoir a suscité de vives tensions, d’autant que le cercle familial (en particulier son épouse Sylvia Bongo et leur fils Noureddin Bongo Valentin) s’est vu confier de plus en plus de responsabilités informelles, renforçant l’image d’une présidence accaparée par un clan aux desseins tyranniques et ravageurs.

Des soupçons de corruption structurelle

Les révélations judiciaires sur les sommes colossales détournées en une décennie ne surprennent qu’à moitié les observateurs du régime. Ces sommes proviendraient de circuits opaques mêlant marchés publics truqués, sociétés écrans, rétro commissions et abus de biens publics. L’affaire met aussi en lumière l’inefficacité de toutes les institutions de contrôle (Cour des comptes, IGF, ANIF, etc.), soit instrumentalisées, soit neutralisées.

La chute brutale d’un régime dynastique

Le coup d’État militaire du 30 août 2023, conduit par le général Brice Clotaire Oligui Nguema, marque brutalement la fin du règne des Bongo. L’éviction d’Ali Bongo, placée sous le sceau de la « libération du peuple », est largement saluée par une population à bout. Depuis, plusieurs membres de la famille présidentielle sont poursuivis pour détournements massifs de fonds publics, blanchiment d’argent et enrichissement illicite.

Quel héritage ?

Le bilan des mandats d’Ali Bongo est lourd : une économie exsangue, des institutions discréditées, une société fracturée et un discrédit international. Si quelques réformes (numérisation de l’administration, investissements dans certaines infrastructures, émergence d’un discours écologique) peuvent être créditées à son actif, elles restent marginales face à l’ampleur du mal-gouvernement.

En définitive, le règne d’Ali Bongo aura surtout été marqué par une gestion prédatrice de l’État, prolongement d’un système dynastique devenu insoutenable. La justice, désormais plus libre de ses mouvements, est en passe de documenter l’ampleur des détournements et des responsabilités. Le Gabon, quant à lui, reste à reconstruire sur les ruines d’un demi-siècle de patrimonialisation du pouvoir.

Simplice Rabaguino

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