Déguerpissements : pour une approche plus humaniste et tenant compte de la réalité foncière gabonaise

Libreville, (GM) — Depuis plusieurs semaines, la capitale gabonaise et d’autres villes du pays deviennent progressivement le théâtre de déguerpissements successifs, visant à libérer des espaces occupés de manière jugée illégale, en vue de la mise en œuvre de projets structurants ou d’assainissement urbain. Mais à quel prix ?

Si ces opérations décidées par le gouvernement peuvent se justifier par des impératifs d’urbanisme, de sécurité, de salubrité publique ou de préservation de l’environnement, elles soulèvent néanmoins une vive controverse quant à la manière avec laquelle elles sont menées. À Libreville comme à Port-Gentil, ou même ailleurs sur le territoire national, le respect de l’ordre urbain et la modernisation de nos villes ne peuvent sereinement se faire au détriment de la dignité humaine ni sans une réelle prise en compte des inextricables complexités liées à la politique foncière nationale telle que vécue aujourd’hui par les Gabonaises et Gabonais.

Une crise sociale avant tout

Derrière chaque maison détruite, c’est une famille, des parcours de vie, un investissement personnel réduit à néant. Les habitants des quartiers concernés, souvent issus de milieux modestes, se retrouvent sans abri, sans solution immédiate de relogement, parfois sans y avoir été assidûment préparés. Dans ce contexte, beaucoup d’entre eux avouent avoir acquis leurs terrains par des moyens dits « informels » mais tolérés de longue date par les pouvoirs publics : achat de parcelles via des chefs de quartier, autorisations orales ou anciennes quittances communales. Toute chose qui illustre l’ambiguïté du système foncier gabonais, où coexistent droit coutumier, droit moderne et pratiques administratives parfois opaques, voire sulfureuses.

Une gestion foncière à réformer

Le désordre foncier est donc en grande partie responsable de cette situation. L’absence d’un cadastre fiable, les lenteurs administratives, la multiplicité des intermédiaires non habilités, et la faible accessibilité des procédures de régularisation foncière contribuent à l’extension de zones d’habitat spontané. Pour de nombreuses familles, construire sans titre de propriété n’est pas un choix de défiance vis-à-vis de la loi, mais une solution de survie face à la crise du logement.

Face à ce tableau peu reluisant, une réforme foncière ambitieuse, transparente et inclusive s’impose comme une priorité absolue. Elle devrait permettre une clarification des statuts fonciers, une démocratisation de l’accès à la terre, ainsi qu’un accompagnement à la régularisation générale des occupations anciennes et légitimes.

L’urgence d’une approche plus humaniste

À l’évidence, il est essentiel que ces opérations de déguerpissement soient guidées par des principes d’humanité, de justice sociale et de droit à la ville. En ce sens, avant toute opération, il convient de procéder à : un diagnostic social approfondi consistant à identifier les profils des occupants, la durée d’occupation et la provenance des autorisations foncières ; des préavis raisonnables et une communication claire visant à informer en amont et dialoguer avec les populations concernées (comme c’est par exemple le cas avec le projet de la voie de contournement du Grand libreville) ; des alternatives concrètes en prévoyant des solutions de relogement temporaire ou durable, voire des programmes d’intégration urbaine pour les quartiers construits depuis longtemps ; un accompagnement psychosocial et juridique en offrir des possibilités de recours, une assistance légale et un suivi social post-déguerpissement.

Nécessité d’un urbanisme plus inclusif

En cette V ème République effectuant ses premiers pas, l’un des plus grands défis pour les autorités gabonaises est de concilier la nécessité de développer des villes modernes, sûres et planifiées avec l’impératif de ne pas marginaliser davantage les plus vulnérables. L’État a par exemple ici l’opportunité d’innover en adoptant une approche fondée sur la co-construction des politiques urbaines, associant collectivités locales, société civile, experts urbanistes et populations. Faire de Libreville une capitale inclusive et résiliente passe par la reconnaissance du droit à un logement digne pour tous. Un développement urbain véritablement durable ne saurait durablement se faire au prix d’une sorte d’exclusion ou d’une certaine brutalité que ne peut justifier à elle seule la puissance publique.

Paul Nkori

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