Focus sur Vincent de Paul Nyonda : une plume résistante et incassable au service du Gabon

Libreville, (GM) — Figure oubliée mais pourtant essentielle du Gabon postcolonial, Vincent de Paul Nyonda est une personnalité au destin exceptionnel. ministre devenu exilé politique, il est aussi considéré comme le père fondateur du théâtre gabonais. Par son engagement, sa résilience et sa plume, il a marqué l’histoire politique et culturelle du pays.

Un bâtisseur de la première République

Né le 20 février 1918 à Mandji, dans la Ngounié, Vincent de Paul Nyonda appartient à cette génération d’intellectuels africains formés à la croisée de la tradition et de l’administration coloniale. Brillant orateur et homme de conviction, il s’engage très tôt en politique, aux côtés de Léon Mba, le premier président du Gabon indépendant.

Dans les années 1960, il est nommé ministre dans le premier gouvernement gabonais. Patriote, respecté, il participe activement à la mise en place des premières institutions de la République. Mais son destin bascule brutalement.

1964 : l’arrestation, la chute, l’exil

En février 1964, le Gabon est secoué par un coup d’État militaire, durant lequel Léon Mba est brièvement renversé avant d’être réinstallé au pouvoir par l’armée française. Dans le climat de répression qui suit, Nyonda est accusé – sans preuves – de sympathies envers les mutins.

Il est arrêté, emprisonné, puis exilé à Mandji, son village natal. Là-bas, il est dépouillé de ses privilèges, contraint à vivre dans des conditions très modestes. Ses ennemis espéraient le réduire au silence. Mais ils l’ont plutôt poussé à écrire.

L’éveil du dramaturge : créer dans l’exil

Dans l’isolement, Nyonda découvre une nouvelle mission : celle de porter la voix du peuple à travers le théâtre. Il puise dans la tradition orale africaine, dans les contes, les épopées et les sagesses ancestrales, pour forger une œuvre engagée et accessible.

Ses pièces les plus connues, « La mort de Guykafi » et « Le Roi Mouanga », sont de véritables fables politiques, dénonçant l’arbitraire, l’usurpation du pouvoir, la trahison et la lâcheté. Ces pièces, jouées pour la première fois dans les villages, sont saluées pour leur force poétique et leur profondeur philosophique.

Nyonda écrit dans une langue simple, mais percutante. Ses dialogues s’appuient sur la musicalité des langues locales, la sagesse des proverbes et une mise en scène sobre mais puissante. Il invente un théâtre africain authentique, enraciné dans la réalité du peuple.

Un retour sans compromission

Ce n’est que plusieurs années plus tard, à la faveur d’un apaisement politique, que Vincent de Paul Nyonda est autorisé à revenir à Libreville. Il y retrouve sa famille, mais refuse de réintégrer le pouvoir politique. Il choisit de vivre humblement, fidèle à ses valeurs, jusqu’à sa mort en janvier 1995.

Il laisse derrière lui une œuvre considérable, à la fois littéraire et morale. Longtemps ignorée par les circuits institutionnels, son œuvre est redécouverte depuis les années 2000 par des chercheurs, des metteurs en scène et des enseignants qui reconnaissent en lui un précurseur majeur.

L’héritage d’un résistant pacifique

Vincent de Paul Nyonda représente aujourd’hui bien plus qu’un dramaturge. Il est un symbole de dignité, d’intégrité et de courage intellectuel. Dans une époque où la parole est souvent marchandée, où les convictions cèdent face aux intérêts, son parcours rappelle que la loyauté aux principes peut résister à toutes les tempêtes.

Son histoire inspire des générations de jeunes Gabonais à penser autrement la place de l’artiste dans la société : non comme un amuseur, mais comme une conscience. Il a démontré que même dans la forêt, sans scène ni projecteurs, le théâtre peut devenir une arme et la culture, un acte de résistance.

Aussi, l’État gabonais gagnerait-il aujourd’hui à institutionnaliser l’héritage de Vincent de Paul Nyonda, en intégrant son œuvre dans les programmes scolaires, en rééditant ses textes, en mettant en valeur son village de Mandji comme site mémoriel, et en créant un prix littéraire national à son nom.

Dans un pays qui se reconstruit, réhabiliter la mémoire de ses héros intellectuels n’est pas un luxe. C’est une nécessité pour forger un avenir plus lucide, plus ancré, plus digne.

Simplice Rabaguino

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *