Déclaration de Sylvia et Noureddin Bongo : entre amnésie et victimisation à outrance

Libreville, (GM) — La communication de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddin, effectuée ce jeudi 03 juillet, constitue un nouvel épisode dans la guerre d’images et de récits qui a lieu depuis un certain temps entre l’ancien régime Bongo et les nouvelles autorités gabonaises.

Dans un texte au ton solennel et accusateur, les deux anciens membres du premier cercle présidentiel dénoncent des conditions de détention extrêmes, des actes de torture « dans les sous-sols du palais présidentiel » et une spoliation forcée de leurs biens, orchestrée selon eux par les plus hautes sphères du pouvoir actuel.

Derrière ce récit opportunément empreint d’émotion et d’un certain sensationnalisme, il convient d’analyser plus froidement et sans passion cette déclaration. Un examen critique approfondi, tant sur le fond que sur les enjeux politiques, juridiques et symboliques qu’elle soulève, s’impose.

Une stratégie de communication bien huilée

Première évidence : le document diffusé par les Bongo emprunte tous les codes d’un récit victimisant, destiné à pousser la communauté internationale à rallier leur cause et à décrédibiliser le régime d’Oligui Nguema. Le choix des mots « tortures », « fouettés », « électrocutés », « enfants pris en otage », etc., est profondément significatif. Par ce narratif catastrophiste, le pouvoir de Libreville est dépeint en régime totalitaire, pratiquant la violence physique et psychologique contre des prisonniers politiques aux droits bafoués.

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans une logique d’internationalisation du conflit entre les deux camps, déjà amorcée avec les plaintes déposées en France au mois de mai 2024 pour torture, séquestration ou vol de biens. En accusant la justice gabonaise d’être « aux ordres » et en promettant de remettre des preuves aux autorités françaises, Sylvia et Noureddin Bongo visent clairement à déplacer le terrain du débat hors du Gabon, dans un espace juridique et médiatique supposément plus favorable à leurs intérêts.

Des allégations graves… mais sans preuve concrète

Si le récit peut être considéré comme poignant, il reste à ce stade unilatéral et peu crédible. Aucune preuve n’a été produite par le duo dans le cadre de cette déclaration. Les noms cités (la juge Leïla Ayombo Moussa, les « proches du Président Oligui Nguema », etc.) sont mentionnés sans que les vidéos ou enregistrements évoqués ne soient immédiatement rendus publics. Cela soulève une première interrogation : à quel moment ces preuves seront-elles présentées au grand public, et dans quelles conditions ? Ne pas répondre à ces interrogations en brandissant le sempiternel secret de l’instruction judiciaire ne serait que fuite en avant, dès lors que ledit secret est violé de façon flagrante par cette sortie médiatique quelque peu tonitruante.

Une vue de la lettre PH/DR

L’absence actuelle de documents tangibles et la possession d’éléments prétendument à charge, mais non authentifiés fragilisent la portée de cette déclaration. On ne peut ignorer non plus que Sylvia Bongo et son fils ont longtemps été perçus comme les symboles d’un régime prédateur, accusés d’avoir capté les leviers économiques, d’avoir influencé l’exercice du pouvoir présidentiel pendant les cinq dernières années du règne d’Ali Bongo et d’être responsables de nombreux abus dénoncés par la société civile par exemple.

Un renversement des rôles

Le message passé ici est clairement celui de l’inversion des rôles, car il place Sylvia et Noureddin Bongo dans une posture de résistance à l’arbitraire ou de martyrs d’un régime tyrannique. Le discours est soigneusement calibré pour susciter la sympathie et une forme de réhabilitation symbolique dans l’opinion. Mais cette tentative de réhabilitation est également une manœuvre risquée : la mémoire collective n’a pas oublié les années Bongo faites de soupçons de corruption, de népotisme et d’un système clanique qui avait outrancièrement phagocyté les institutions.

La référence appuyée à la communauté internationale et à l’Union africaine, quant à elle, pourrait apparaître comme une tentative de réécriture du soutien diplomatique réel dont jouissent les autorités gabonaises actuelles. Pourtant, si l’UA a bel et bien plaidé pour la préservation des droits fondamentaux d’Ali Bongo et sa famille, elle n’a jamais officiellement dénoncé un régime de terreur sous Oligui Nguema, ni validé officiellement la version des ex-détenus.

Une guerre des récits en cours

À tout le moins, cette déclaration relance la guerre des récits qui oppose l’ancien régime et les nouveaux maîtres du Gabon. Chaque camp accuse l’autre de tous les maux. Le pouvoir actuel pourra probablement répondre à ces accusations, mais ces anciens dignitaires et acteurs institutionnels devraient aussi rendre des comptes sur leur gestion passée.

La déclaration de Sylvia Bongo et Noureddin Valentin peut être une petite bombe médiatique, mais elle n’aura éventuellement de réel effet que si elle est suivie d’actes plus probants, notamment la publication des preuves promises. En attendant, elle reste une opération de communication plus ou moins habile, mais politiquement périlleuse pour ses auteurs. Le peuple gabonais, pris entre deux narratifs antagonistes, attend des faits, des preuves. Le Gabon a besoin de lumière, pas de théâtre et encore moins de gesticulation médiatique sur fond de victimisation pas du tout cher payée !

Djoce

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